Pierre Dulude

Pierre Dulude

Vivre dans la dignité.

 

  

 

 

    

 

 

 

Vivre dans la dignité.

 

 

Les couleurs sont si merveilleuses qu’elles en sont  un régal pour l’œil .Les rouges et les jaunes flamboient. On dit que les forêts du Québec sont les plus beaux jardins de la terre à l’automne, il y a beaucoup de vérité  dans cette affirmation. Qui pourrait rester de glace face à ce spectacle enivrant. Marion, ma petite fille, et moi allons rendre visite aux canards et, si par chance, nous apercevons des outardes ce sera  toute une fête; nous le souhaitons. La petite a amené avec elle son petit sac de provision de croutons de pain pour ses amis ailés. Elle sait bien que  nourrir les canards de cette façon n’est pas recommandé car ils deviennent beaucoup dépendants des humains. Mais que voulez vous on ne peut empêcher la générosité d’une enfant innocente.

Nous marchons côte à côté lentement tout en douceur .Les feuilles ont commencé à dégringoler des arbres; elles jonchent le sol pour former un tapis multicolore attrayant pour toile de fond. Marion semble fébrile seulement à penser de rencontrer les oiseaux. Nous nous dirigeons vers la berge.

 

La rivière est d’un clame reposant  le soleil nous donne un spectacle festif avec les arbres qui s’y réfléchissent. Au loin on entend des outardes qui semblent préparer leur départ vers leur destination d’hiver .Nous les observons à distance.

Nous ne parlons pas pour ne pas ébranler le silence. Nos peaux sensibles ressentent crument les rayons dardant du soleil. Nous nous installons sur le banc de prédilection et somme inquiets de ne pas voir nos amis encore .Je respire à fond ; comme je me sens bien. Accompagné par mon petit chérubin  qui ne cesse de reluquer les horizons pour faire la rencontre des ses petits camarades à plumes. Je lui dis :

 

-Sois  patiente ils viendront, tu vas voir.

 

Elle me regarde et me répond en connaisseuse avec un sourire tout coquin :

 

-Je le sais, ne t’en fais pas.

 

Les coloris embaument tout autant que les parfums des feuilles épandues par terre. La petite va ramasser une immense feuille d’érable d’un rouge éclatant. Elle me la montre et elle s’interroge :

 

 

-Je me demande bien à qui appartenait cette feuille ?

 

Elle se retourne et examine les arbres qui sont proches de nous. Un érable majestueux  se dresse come un vieux sage de la forêt. Ses feuilles se contrebalancent encore dans la petite brise .Ses ramures semblent délicates finement tenues aux gras bras décharnés de notre ami l’érable Ses branches ouvertes comme pour nous accueillir. Marion me demande :

 

-Crois-tu que c’est un vieil arbre celui-là grand-papa ?

 

Je me retourne pour fixer l’arbre et lui dit :

 

-Oui probablement ; ne doit pas être bien jeune ce monsieur là. Tu vois il a été émondé à quelques reprises et son tronc semble s’affaisser.

 

La petite m’arrête et me dit :

 

-Immonder ?

 

-Émonder, Marion. Ce qui veut dire que lorsqu’un arbre avance en âge on lui coupe des branches lorsque la sève ne circule plus Elles deviennent dangereuses et peuvent tomber sur les gens mais aussi elles affaiblissent l’arbre. Et le résultat en est que les autres branches ont plus de vigueur avec plus de sève pour mieux évoluer lorsqu’on les coupe.

 

On le fait souvent mais lorsque l’arbre arrive à la fin de sa vie ,bien ,on le laisse aller jusqu’à toute fin. Je crois que notre ami ici à eu une très belle vie .Il a donné beaucoup de lui-même pour son ombrage l’été et ses belles couleurs l’automne et sans compter de son eau d’érable pour sucrer le bec des belles petites filles comme toi. Les yeux de Marion me sourient à belle dents. Elle se lève et se dirige vers l’arbre qui doit faire des centaines de fois sa petitesse.

 

-Monsieur l’érable, merci pour tout ce que vous avez fait pour nous et je vous souhaite de vous retrouver dans votre paradis des arbres.

Elle entoure l’arbre de ses petits bras et lui fait un beau câlin. Elle revient s’asseoir et regarde vers la rivière constatant que les canards ne sont pas encore au rendez-vous. À ses grands regrets. Elle s’installe plus près de moi et me demande :

 

-Grand-papa,  c’est quoi l’euthanasie ? J’ai entendu cela hier à la télévision. Il y avait des messieurs et des madames qui  en discutaient entre eux et je n’ai pas très bien compris ce qu’ils voulaient dire .J’ai voulu demander à maman mais c’était l’heure d’aller me coucher et elle m’a dit qu’elle m’en reparlera aujourd’hui. Mais j’aimerais avoir ton opinion à toi.

 

-Ah oui ! Et pourquoi ?

 

Elle me regarde et me lance :

 

-Bien ils en parlaient surtout par rapport aux personnes âgées et les personnes bien malades. Et toi, bien, tu n’es pas jeune non ?

 

Je  contemple ce beau jeune visage et rassemble mes idées car le sujet est délicat. Je fixe, à mon tour la rivière et je viens de voir une envolée d’outardes s’y poser je reprends 

-Tu sais Marion  si tu as vécu une belle vie et que tu en arrives à la fin ; content d’avoir bien vécu tout ce que la vie peut comporter les belles choses et les moins belles, bien tu te prépares convenablement faire face à cette fin de vie par laquelle tout le monde passe qui, en fait , n’est que le commencement . Tu vois notre arbre à l’arrière il ne lui en reste pas pour beaucoup de temps, comme je te disais. Il ne pense pas à s’enlever la vie, il dépérira tout simplement. Les oiseaux que nous venons voir ne s’enlèvent pas la vie non plus et nous les hommes nous sommes censé être plus intelligents qu’eux ! On dit que c’est une question de choix; de libre choix .A-t-on le droit de s’enlever la vie parce qu’on ne veut pas souffrir ? Toute notre vie est une succession d’épreuves et de, bien souvent, de  souffrances. Toute notre vie nous voulons vivre .Arrivés en dernier on ne veut plus vivre ? Je ne le crois pas. Je ne te fais pas peur mon petit trésor ?

 

Songeuse elle me répond par la négative :

 

-Non mais je me dis si tu étais à l’hôpital et que tu serais  branché comme ils disent  est-ce que tu demanderais qu’on enlève les tuyaux?

 

Je fixe intensément l’horizon et n’hésite pas à lui répondre :

 

-Il faudrait pour cela que j’en sois pleinement conscient. Je laisserais plutôt la petite étincelle de vie s’en aller de moi. La vie ne nous appartient pas elle appartient à notre Créateur. C’est mon opinion à moi. Et même si je serais très conscient je ferais la même chose. Je me raccrocherais à cette petite flamme vive .Je le ferais pour seulement te voir jusqu’à la fin. Et ce n’est pas une question de choix  nullement. Tu sais la vie ce  n’est pas une chose à non sens et qui débouche sur le néant; c'est-à-dire sur rien du tout. La vie c’est l’Amour.

 

L’homme se croit tellement plus haut et plus fort qu’il se prend lui-même pour Dieu pour tout régir. Autant la vie que la mort.

 

La petite semble mettre de l’ordre dans ses idées et me lance tout de go :

 

-Je t’aime grand-papa, je t’aime et je ne veux pas que tu t’en aille.

 

Elle me saute dans les bras et je la serre très fort :

 

-Je ne suis pas parti encore, tu sais, je suis encore là.

 

-Je vais m’occuper de toi, moi, tu vas voir. Jusqu’a temps que ta petite lampe soit fermée.

 

-Je t’aime, moi aussi mon petit ange.

 

Les larmes me viennent à l’œil. Je regarde un peu plus loin et l’envolée d’outardes approche de nous .

 

Je dis à Marion :

 

-Regarde qui vient nous voir !

 

Elle se retourne et saute de joie. Elle prend son petit sac de croutons et se dirige vers le bord de l’eau. Je lui conseille de ne pas trop s’approcher  pour ne pas tomber. Elle attend que les magnifiques oiseaux s’approchent d’elle. Tous en rang d’oignon, elles se faufilent dans les hautes herbes et mettent la patte sur le gazon bordant la berge. Marion prend quelques morceaux de pain et les lance  aux oiseaux affamés. Chacun leur tour, poliment, s’accapare d’un crouton tout en laissant les plus jeunes se gaver ainsi que ceux qui sont les plus faibles. La petite trépigne et me regarde super heureuse .Un vol de goélands a vu le manège et se dirige vers nous. Nous sommes entourés d’oiseaux. Leur ombre sur la surface de l’eau en est féérique. Marion leur parle :

 

-Un instant, un instant s’il vous plaît je n’en ai pas pour nourrir tout un régiment, moi, de ce pain là. Vous prendrez ce qu’il y a et pour le reste, bien, vous ferez ce que vous faites d’habitude. Elle me regarde et me sourit  du plus profond  de son âme, Le sac vidé, elle reste parmi le vol des oiseaux et les outardes sur terre .

 

On dirait un ange dans les nuages du paradis.

 

Elle se retourne et fixe l’érable et le salue gentiment de la main. Ses yeux s’écarquillent vers le vol d’outardes qui ont repris leur chemin du ciel. Elle les salue et leur souhaite un bon voyage. Assis, serrés un contre l’autre  la journée s’étiole paresseusement.

 

Pierre D.

Les Ailes du Temps

Laval, 4 octobre 2010

 

Merci à mon amie Ruth Gilbert pour sa photo.

 

 

 

 



12/10/2010
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