Pierre Dulude

Pierre Dulude

Tendre la main !

Tendre la main

Tendre la main ! 

Mes pas m’ont conduit vers un endroit familier ce soir, non par obligation mais bien par nécessité. Je viens de pénétrer dans une salle de réunions des AA  non loin de chez moi. La lumière blafarde des néons pince les yeux. Une douce chaleur serpente le long des murs tapissés d’images et de dessins. Nous sommes dans une salle communautaire d’un centre pour loisirs. Les chaises alignées sur une douzaine de rangées attendent patiemment  les gens. Je me dirige vers la table à café et collations. Un membre AA  se présente et je lui rends la réciproque. Il me verse le liquide dans un verre  de carton  tout en me souriant. Je ne réponds pas à son invitation de converser ; je ne me sens pas l’âme à parler à qui que ce soit. Je me dirige vers une chaise, tout au fond de la salle,  pour essayer de faire le calme à l’intérieur de moi je me sens  bouleversé. J’enlève mon manteau et l’installe sur le dossier de la chaise; il pendouille avec mes poches la gueule béante ouverte.

Je m’installe  au creux de la chaise souhaitant ne pas rencontrer trop de gens qui me connaissent. Je sirote mon café brûlant en petites lampées. Mes pensées virevoltent dans ma tête. Ce soir est le premier anniversaire de notre séparation, Diane et moi, mes émotions sont à fleur de peau. Nous formions, pourtant, un couple qui s’entendait assez bien. Mais voilà que, l’an passé, elle décide de briser  notre alliance pour se retrouver dans les bras d’un  homme de plusieurs années plus jeune que moi.  Toute cette mésaventure de cette séparation est arrivée assez vite que j’en ai vu que du feu. Je me suis retrouvé seul, tout fin seul, dans notre grand logement habitué de nous voir s’aimer. Une boule vient me serrer la gorge  et j’avale un peu de café tout en dissimulant ma peine .La tempête émotionnelle va bon train dans mon esprit, et ce, depuis un an. Suite à cette déception, cette trahison, j’ai senti l’échec de notre relation et le rejet. La vie n’avait plus beaucoup de sens à mes yeux meurtris par les larmes. Je respire profondément en silence et en expirant doucement. Les gens commencent à arriver pour la réunion. La salle se remplit en douceur .Les gens sont souriants et quelques uns s’esclaffent dans un coin. Je suis là de corps mais non d’esprit. Un an me lance le brouhaha de la salle. Je retourne à mon bilan. Je cherche, encore, ce qu’il y a bien pu se passer pour que notre union éclate de la sorte. Je ne trouve pas de réponse. Je me suis placé devant un arbre qui me cache la forêt. Je  me blâme pour cet échec et pourtant, comme m’avait si bien dit une de mes amie, dans un couple c’est cinquante, cinquante. Dans ces circonstances  nous sommes prêts à prendre toutes les fautes sur notre dos. 

Ma tasse de café est presque vide et je regarde vers la table à café où s’est agglutiné plusieurs personnes attendant de se faire servir; je vais  patienter. Le tourbillon de mes  états d’âme me rattrape .Des myriades de bons  souvenirs explosent dans ma tête. Une larme se glisse furtivement sur ma joue, je me dépêche à l’irradier de mon visage. Je regarde autours de moi pour vérifier que personne ne m’a vu. Une gentille dame vient me saluer tout en me demandant comme je vais. Je lui mens et elle retourne vers ses amies qui l’accompagnent. Elle ressemble étrangement à Diane et me ramène instantanément  l’image de celle qui m’a quitté. Je me demande ce qu’elle fait aujourd’hui, où est-elle, est-elle heureuse ? Il y a quelques mois  je suis allé consulter son profil sur un réseau social sur internet et l’ai aperçue avec son nouveau compagnon.

Il s’appelle Antoine  et a fière allure. Sur ce site internet paraissait plusieurs photos du couple s’entrelaçant. Une pointe de jalousie et d’envie  se sont accaparé de moi et j’ai, d’un geste brusque, éteint mon ordinateur. Je ne  connais pas ce jeune homme et il ne me connaît surement pas. 

Je me lève, sortant de ma torpeur, et me dirige vers la cafetière  pour me verser un deuxième café.  En arrivant vers la table j’aperçois un homme qui s’est isolé à l’arrière de la salle .Il semble bouleversé et en grande peine. Il a les yeux hagards et cherche à éviter les autres. Mon image quoi. Je remercie le serveur de café et va pour me diriger vers ma chaise. Je change d’idée et m’oriente vers le solitaire qui détourne son regard déjà fuyant. Je  m’approche tout doucement. Je vois qu’il n’est pas rasé depuis plusieurs jours .Il est mal à l’aise et a les gestes gauches. Il renverse un peu de café, de ses mains tremblantes, par terre mais ne s’en soucie pas. Ses yeux expriment une tristesse à fendre l’âme. J’hésite. Je l’aborde. La cacophonie des voix de la salle nous rejoint. Je m’approche  de lui et d’un éclair je le reconnais.
C’est Antoine le nouveau compagnon de Diane. Mon sang ne fait qu’un tour dans mes artères. Je pense à m’éloigner. Je me présente à lui et il me répond en chuchotant, presque, je suis Antoine  et c’est la première fois que je viens ici. 
Nos regards se croisent et je souhaite de tout cœur qu’il ne me connaisse pas ou ne me reconnaisse pas .Je lui dit : -C’est ta première réunion Antoine ? Il me fixe et me dit : -Oui, j’ai de graves problèmes avec l’alcool et je viens de perdre mon emploi.  Un sentiment de découragement se lit dans les traits de son visage .Je le laisse prendre son souffle. Il  ingurgite son café comme on boit de l’eau. Il reprend : -Tout allait bien dans le meilleur des mondes, je suis en amour et nous allions acheter une belle petite maison….. Un souffle d’anéantissement vient me balayer le cœur mais je reste stoïque ; je l’écoute car il a besoin qu’on l’entende. Des idées saugrenues  viennent m’effleurer l’esprit   mais je pense à ceux qui m’ont écouté dans mes débuts d’abstinence. Il continue : 

-La semaine passée, lors d’un congrès de ma compagnie je crois que j’en trop rajouté à mes dires face à un de mes patrons et je me retrouve aujourd’hui en chômage. C’est une injustice et je n’apprécie pas. Je sais que je  bois  et  je descends surement vers ma destruction. Ma compagne  m’a laissé entendre qu’elle n’endurerait pas ce manège bien longtemps. Je ne sais plus où j’en suis .J’ai besoin d’aide et  quelqu’un m’a dit que je trouverais l’aide ici pour m’en sortir. 

Encore bouche-bée je l’écoute et je sais qu’il attend une réponse. Je ressasse mes idées et les clarifie .Je prépare mon petit laïus et dit posément : 

-Tu as bien fait de venir. Tu es au bon endroit. Nous allons te donner l’écoute. Car seul nous ne pouvons nous en sortir. Nous devons nous supporter les uns les autres, l’alcoolisme est  une maladie insidieuse hypocrite et  mortelle. 

Curieux, je lui pose la question : 

-Est-ce que tu me connais ? 

Il me dévisage, m’examine et me répond : 

-Non je ne te connais pas c’est bien  la première fois que je te vois. Pourquoi ? 

Je le regarde avec compassion et lui dit : 

-Pour savoir, il me semblait t’avoir vu en quelque part mais je me trompe. Tu sais nous avons les conseils de base ; ne prends pas ton premier verre pour aujourd’hui, c’est celui là qui amorce tout, fais des réunions et trouve toi un confident ou une confidente. Verbalise tes états intérieurs et surtout aide les autres. Nous avons un Mode Vie qui va changer ta vie. Toi et ta compagne vous pouvez faire des réunions ensembles et  vous entraider. Les expériences des uns et des autres nous fortifient. Tu as choisi le bon endroit et tu vas t’ouvrir à un monde nouveau qu’il te suffira de découvrir. Tu peux aller au coffret de littérature les gens vont te fournir ce que tu auras de besoin pour bien partir. Tu peux leur demander, aussi, de rencontrer celui ou celle qui s’occupe des nouveaux venus. Je te souhaite bienvenue et bonne chance. Et  beaucoup de bonheur, le plus beau est à venir. 

Antoine me regarde et me demande si je viens souvent à cette réunion. Je lui dis  que je ne suis  que de passage et  je ne demeure pas dans les environs. 

Je quitte Antoine qui semble rassuré, Il se dirige vers le responsable de la littérature et j’en profite pour m’éclipser. Je me glisse à l’extérieur le cœur léger comme un oiseau. Il neige de célestes flocons qui réaniment mon cœur d’enfant. Je me suis souvenu d’une parole d’un vieux membre AA qui m’avait dit : 

-Que ferais-tu si le pire de tes ennemis viendrait te demander de l’aide ? Tu le repousserais, tu l’ignorerais ou tu le rejetterais ? Je ne crois pas. Tu lui tendrais la main comme nous, nous te l’avons tendue. 


La chaîne continue. 

Pierre D. 

Les Ailes du temps© 

28 décembre 2009 



02/01/2010
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 2 autres membres