Prisme...!
Prisme…!
Mai avec ses couleurs tendres. Les bourgeons peinent à sortir et éclater. Les arbres sont vêtus d’un tissu vert pâle contrastant sur les restes et reliquats de l’hiver. L’herbe, sous nos pieds, d’un petit jaune agonisant, laisse ressortir des brins verts étincelants. La nature revit, ainsi que les animaux, les oiseaux et les humains. Le soleil réchauffe cœur et âme. Une énergie électrisante s’empare de toutes les créatures. Les rives de la rivière regorgent de nouvelles poussent d’herbes sauvages d’où fourmillent des myriades d’insectes heureuses elles aussi de l’arrivée de la nouvelle saison. Tout bourdonne de vie et de lumière. Je m’engage sur le petit sentier qui s’étiole sur le bord de l’eau pour entreprendre ma marche quotidienne. Aller et retour j’y compte deux cents quarante six pas. Je me place, sous les arbres, au début de la piste, d’un pas léger au commencement j’articule mon calcul à coup de douze pas à la fois. Je démarre ma randonnée de ce jour.
Cette discipline me permet de demeurer dans mon moment présent et ainsi de chasser les idées saugrenues qui pourraient m’assaillir tout en gardant la forme mentale et spirituelle. Je fais un aller en humant les effluves doux de la nouvelle végétation. Rendu à l’extrémité du sentier je tourne sur moi-même et continue mon manège. Je compte mes pas tout haut en murmurant. Le ciel d’un bleu azur, sans nuage, m’encourage à continuer. Au bout de l’allée, des oiseaux se chamaillent et piaillent comme si on entendait un rire d’enfants. Je passe sous les branches d’un érable en plein éveil et je sens un petit claquement d’ailes près de mes oreilles. J’arrête mon calcul et stoppe. Je cherche des yeux l’insolent. Une hirondelle revient à la charge m’avertir que je suis sur son territoire. Je n’en fais pas trop de cas et continue ma marche. Je vais jusqu’au bout du sentier et reviens. Arrivé sous l’étable encore la même scène se produit. Cette fois deux hirondelles viennent me haranguer de ne pas dépasser leurs frontières. Je passe outre en leur disant que je ne suis pas là pour leur faire de mal. Je reprends allègrement mon pas vers le fond de l’allée. En me retournant, encore une fois, j’aperçois un homme d’un certain âge qui se dirige vers le banc de mes pensées et méditations ; il s’y installe .Je suis un peu déçu et continue mes pas. Je croise l’étranger qui semble quelque peu préoccupé. À l’extrémité du sentier je recommence ma déambulation ; un peu plus vite cette fois. Le rythme est bon et soutenu. Je recroise l’homme vêtu d’un manteau léger de printemps .Il a une casquette bleutée.
Ayant fait mon demi tour au bout de la piste, je lève les yeux vers le quidam qui a les bras dans les airs et gesticule. Il vient de piquer ma curiosité. Il se jase à lui-même tout en exécutant des gestes aléatoires comme s’il expliquait quelque chose à quelqu’un d’invisible. Je ne me surprends pas car ce n’est pas un phénomène rare de nos jours de voir un homme ou une femme se parler à eux-mêmes; la solitude est la pauvreté de notre société. Furtivement je me dirige, avec un peu d’inquiétudes, vers mon gesticulateur. Arrivé à sa hauteur il se tait. Je suis à quelques mètres de lui lorsque, sans crier gare, mes hirondelles viennent me harceler encore une fois. Elles m’évitent de justesse. Je me protège avec mes mains. L’homme a vu mon manège et il me lance :
- Venez vous asseoir, elles vont vous laisser tranquille.
J’acquiesce et viens le rejoindre sur le banc. J’en étais rendu, aussi, à mon temps de repos. Mes jambes, qui ont du mal à me supporter depuis un certain temps exigent une petite halte. Je jette, du coin de l’œil, un regard furtif à l’étranger. Il murmure des phrases inaudibles et ne semble pas agressif; ça me rassure. Il garde silence et, tout en regardant le soleil danser sur les flots, il me lance :
-Les hirondelles au printemps n’aiment pas les intrus dans leur domaines vous savez ! Elles protègent leur progéniture. Lorsque je viens ici j’essaie de ne pas les importuner et de me faire allié avec elles. Je leur laisse la Paix et elles me laissent la Paix. Je vous regarde marcher vous venez souvent ici faire votre exercice ? C’est bien la première fois que je vous rencontre.
Maintenant la glace est brisée et la conversation s’entame aisément. Après de courtes présentations il me dit qu’il s’appelle Julien et qu’il demeure non loin du parc. Je fixe au loin la passerelle du parc de l’autre côté de la rivière. Des promeneurs s’y sont engagés et admirent le paysage .Je me nomme à mon tour et je réponds à sa question de ma présence ici :
-Oui je viens régulièrement marcher et prendre l’air. Je vous regardais, il y a un instant, et vous sembliez gesticuler et discuter avec quelqu’un. Est-ce que je me trompe ou si c’est trop indiscret ?
Un regard de grands yeux tristes paraît dans son expression et il me dit :
-Non, vous ne vous êtes pas trompé. J’essaie de m’expliquer un évènement qui s’est passé dans ma vie il y a de ça plusieurs années et m’interpelle ces jours ci. J’ai des difficultés à comprendre comment se fait-il que les gens voient les choses d’une façon inusitée comme au travers d’un prisme ou d’un miroir déformant. Comment se fait –il que les gens interprètent les faits selon leur bon vouloir et continuent à se mentir pendant des années et des années. Je me demande quelques fois si ce n’est pas moi qui est fautif ou manipule la réalité. Je ne vous embête pas avec mes récriminations ?
Je rassure mon interlocuteur et lui enjoints de continuer. Julien reprends :
-Voyez vous il y a plusieurs années ma cousine et moi avions acheté une maison dans un quartier huppé de la ville. Nous étions comme des enfants avec un nouveau jouet et adorions s’en occuper et l’embellir. Tout allait bien jusqu’au moment où ma cousine rencontra un amant. Pour ma part je fréquentais une jolie fille depuis un certain temps. Tout allait bien dans le meilleur des mondes. Nous nous étions accommodés, tous ensembles, pour le partage de la maison et des tâches. Jusqu’au jour ou de frictions ont surgit entre nous ; le cousin et la cousine. Prise de bec et mésententes sur mésententes. Une journée tout a éclaté. Je suis allé me refugié chez ma copine, en attendant que la tempête passe. J’avais mes torts et elle, aussi, avait les siens. Je me sentais prêt à la fin de cette soirée fatidique de revenir à la maison et d’avoir une bonne discussion entre adultes.
Julien me regarde et me dit :
-Dites je ne vous agace pas avec mon récit ? Je peux arrêter vous avez.
-Continuez, je suis toute ouïe. Nous sommes si bien sous le soleil et le spectacle de la nature en vaut la chandelle. Continuez, j’ai beaucoup de temps. Julien reprends :
- Lorsque je suis revenu à la maison les lumières brillaient de tous leurs feux comme si la maison était envahie par une foule immense. En entrant délicatement dans le vestibule et en me dirigeant vers la cuisine je vis les portes d’armoire toutes béantes ouvertes.
Je me suis alors dirigé vers la chambre de ma cousine et tous les tiroirs des commodes montraient leur nudité. Ma cousine avait quitté l’endroit comme quelqu’un qui fuit les lieux d’un bombardement .Je me retrouvais tout fin seul dans cette grande demeure avec peu de moyens pour défrayer tous les coûts inhérents à l’entretien de cette chaumière. Mes revenus ne suffisaient pas à équilibrer un budget sensé. Mais ce qui pesait encore plus c’est le poids cet isolement. Le fardeau de la trahison.
Julien garde silence et les larmes lui coulent doucement sur les joues. Il vient de ressasser un souvenir douloureux de sa mémoire. Je lui touche l’avant bras et l’encourage à continuer de verbaliser. Les hirondelles nous laissent un répit. Les goélands survolent les eaux calmes de la rivière. Il reprend avec un léger soupir :
-Une fois le choc passé j’ai remis de l’ordre dans mes idées et dans la maison. Je me suis fait une liste de mes priorités et le lendemain les mit à exécution. Évidemment je me devais de rencontrer ma cousine pour lui rappeler ses obligations envers le contrat que nous avions établi entre nous. Cette rencontre a eu lieu dans un restaurant et nous avons discuté, tout en étant mal à l’aise l’un envers l’autre .Elle me dit qu’elle ne pouvait défrayer que seulement un mois des coûts et qu’elle me laissait la balance des frais; à mon grand dam. Elle me disait qu’elle allait vivre avec son amant et que ses frais de subsistance étaient très élevés. Le choix qui me restait était de vendre la propriété et d’en sortir. Contraint, j’ai accepté car je n’avais plus le choix.
Vous ne savez pas les jours, les soirs et les nuits, écrasé dans l’angoisse, par lesquels j’ai passés. Tous les tracas que je portais sur mes épaules.
Si les murs de cette maison auraient pu parler ou s’exprimer, ils en auraient eu à conter des choses. Dans ma salle de séjour un réverbère transperçait sa lumière les rideaux verticaux ce qui donnait une impression de barreaux de prison. Je me sentais comme un détenu sans chaîne et je roulais un immense boulet à mon pied.
Julien prends une pause et soupire profondément. Il me regarde et me dit :
- Vous savez c’est du passé tout ça. J’ai appris la détermination, la persévérance et à espérer. J’avais le soutien de ma copine qui m’a lassé tombé quelques mois plus tard .Je me sentais de plus en plus dépressif et vulnérable. Enfin j’ai réussi à me défaire, après quelques mois, de la maison et revivre une vie normale.
- L’aventure était bel et bien finie. J’ai pardonné et oublié cette mésaventure avec les années. Ça n’a pas été facile. Mais voilà que dernièrement Annie, ma cousine, me donne de ses nouvelles. Je ne l’avais pas revu depuis belle lurette. Elle m’écrit et me remémore cette partie de l’histoire de la maison, se sentait –elle coupable je n’en ai aucune idée, et me dit qu’elle m’avait beaucoup aidé pour les frais ; ce qui est totalement faux. Depuis toutes ses années elle s’est fait sa vérité, ses réalités et sa vision des choses. Mensonges; ce ne sont que des mensonges.
Julien arrête, serre les poings et les mâchoires. Crispé, il ingurgite beaucoup d’air pour se calmer. Il y réussit. Tout comme un lutteur au bout de ses forces il abdique .Il me regarde et se sent désolé. Je garde un silence respectueux et, enfin, je lui dis :
- Vous savez les gens pour se donner bonne conscience déforment la réalité Nous les humains trouvons toutes sortes d’excuses pour nos affres et nos déboires mais quand vient le temps de s’excuser profondément nous n’y sommes pas. Comme vous avez si bien dit, il y a un instant, c’est comme voir la vie au travers d’un prisme ou d’un miroir déformant. L’image que nous voyons est celle que nous voulons bien voir; pour se donner raison.
- Vous avez appris la détermination et les responsabilités inhérentes de votre transaction et c’est beaucoup pour vous. Mais avez-vous réellement pardonné ? Avez-vous réellement fait le ménage en profondeur de cette histoire. Souvent nous croyons que plus rien ne subsiste d’expériences mais un fait, une note, une conversation nous ramène au même endroit où nous étions en ces temps là. La situation exige de nous de régler le différent pour être en Paix. Voir les aspects positifs de ces mésaventures et s’en servir pour progresser.
- C’est dans la souffrance et le difficile que les plus belles choses éclatent. Voyez le travail de la nature, les froids sont passés et le soleil y met du sien .Les oiseaux s’emballent et nous donnent un spectacle inouï. Envoyez une bénédiction à votre cousine elle le mérite bien.
Julien m’observe et je lui souris. Il m’avoue :
- Oui vous avez raison. J’ai réappris, avec le temps à faire confiance .Là où il y a de la méfiance il n’y a pas d’amour. Je ne peux changer personne mais si moi je regarde ce que j’ai gagné avec cela, je peux aider quelqu’un qui passe sensiblement les mêmes choses. Je vous remercie de m’avoir écouté.
Je reviens souvent ici et au plaisir de rediscuter avec vous.
Je regarde vers l’érable où perchent les hirondelles mais elles n’y sont plus. Je fais signe à Julien que je reprends ma marche. Il me remercie encore une fois moi aussi je le remercie de s’être confié de la sorte. Il est calme et pausé. Je me dis tout haut :
-Où en étais-je donc ? Je recommence. Un, deux, trois, quatre pas….
Une légère brise vient de se lever nous amenant une fragrance des flots de la rivière. Les hirondelles sont à quelques pas me surveillant du coin du bec. Les petits s’en viennent et ils les protègent.
Pierre D.
Les Ailes du Temps©
Laval
18 décembre 2009
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