Pierre Dulude

Pierre Dulude

Paradoxes

 

 

 

 

Paradoxes

Ce matin la rivière resplendit comme un miroir. Rien ne vient troubler sa surface lisse ; ni vent ni soufflet. L’image qu’elle projette double le bonheur de la contempler. Des  goélands, des engoulevents en profitent pour s’admirer à sa surface. Les deux clochers de l’autre côté du cours d’eau ressortent de manière magnifique. Leur dédoublement impressionne. Le soleil, jaloux du spectacle, en remet. Quel calme, quelle sérénité et quel silence .Quelques canards glissent sur  l’onde  comme des signes en verre sur une surface de glace. Une petite brumette gênée et timide s’accroche sur les flancs des rebords du cours d’eau. Excellent temps pour la méditation et la contemplation. Remercier Dieu est le moment présent.

Des pensées, toutes pêle-mêle, viennent  s’accaparer de mon être mais je les stoppe en regardant les détails du paysage que m’offre la quiétude des rives. Les voix se taisent peu à peu pour laisser les notes mélodieuses des oiseaux enchanter mon imagination. Je respire à fond labourant les effluves d’arbustes et des fleurs qui m’entourent. Je suis un avec cette nature bienfaisante .Le silence établi à tous les niveaux, j’entreprends l’escalade de ma méditation et de ma circonspection. Ce qui me vient à l’esprit, soudainement, c’est une question sur ce silence même.

 

-Pourquoi  les gens ont-ils si peur du silence ?  Pourquoi dans leurs maisons ou leur logis il y a toujours de la musique qui se fait entendre ? Pourquoi certains ont leur télévision ouverte à longueur de journée ?
Pourquoi  vivre dans une cacophonie, souvent innommable, de sons, de bruits et de vacarme ? Que fuit-on ? Que ne voulons-nous pas voir ou entendre ou ressentir ? Sa propre image ?  Nos soucis ? La peur de la solitude ? Les stress de la vie ? Et pourtant nous vivons tout cela quand même. Nous ne prenons pas le temps d’écouter vraiment ce qui nous entoure .La nature, la faune et surtout, surtout, les gens .Mais plus important encore  écouter cette voix intérieure qui nous parle.

 

Un moine affirme : 


’’ L’amour du silence conduit au silence de l’amour ‘’. Affirmation profonde et réaliste. Ce silence reflète aussi le respect. Le respect de soi et des autres. Prendre le temps de respirer le silence et de s’en imprégner ne fut-ce que quelques minutes par jour.

Quel paradoxe. Il y a de ces gens qui sont toujours à la course. Course lorsqu’ils sortent du lit et dans leurs préparations. À cavaler lorsqu’ils prennent le métro ou leur auto et d’arriver quelques minutes plutôt .À la course lorsqu’ils arrivent à leur travail tout en montant des escaliers fastidieux. À la course pour leurs repas et  leurs rendez-vous d’affaire ou de réunion. Pressés-pressés disent-ils. Ils déambulent dans les mêmes escaliers pour retourner dans leur chaumière et, pour se reposer, …ils font du jogging ! Ils vont se coucher en courant .Quelle vie trépignante .  Pendant ce temps  la radio, la télévision et les ordinateurs vomissent des inepties à ne plus finir. On ne regarde plus la beauté de la nature et des fleurs. On entend plus les gens qui nous sont proches. Non ! Nous courons !

Ce n’est que lorsque nous sommes acculés au pied du mur que nous revenons sincèrement à  la case départ.

 

Une envolée d’outarde vient gentiment glisser sur la surface, toujours  sans tache, de la rivière. Quels magnifiques oiseaux. Ils sont si discrets; sans déranger .Ils viennent me saluer et je  leur rends la réciproque. La surface de l’eau reflète une myriade d’éclats lumineux du soleil qui s’y dandine joyeusement. Un  merle vient sautiller de brin d’herbe en brin d’herbe à la recherche de sa pitance. Il trouve. Je réfléchis, encore, à un autre paradoxe.

 

-Les gens ont tellement peur de souffrir  qu’ils s’étourdissent par le bruissement de tout ce qui les environne et dans leurs craintes de manquer de tout, pour ne pas souffrir, ils souffrent encore plus. Je discutais avec une vieille dame qui me parlait de la préparation de ses funérailles. Mais avant elle a demandé à ses enfants, advenant une longue maladie, qu’elle voulait se faire euthanasier pour ne pas souffrir et être un poids pour sa progéniture.

Elle s’inquiétait des coûts relatifs à son enterrement et la divulgation de son testament qui lui donnait bien du fil à retorde à cause des chicanes et de dissensions  entre ses enfants. Elle vivait de tourments astreignants.

Elle n’avait pas du tout l’esprit tranquille et serein. Elle me demandait quoi faire.

Je lui dis tout simplement de lâcher prise et de s’occuper de ses fleurs.


 -Les gens se sont faits de nouveaux dieux : culpabilité, insécurité, peurs. Solitude.

-Je  me demandais comment cela se faisait-il que nous vivions dans une culture de mort. Euthanasie, avortement, ce que nous voyons dans les journaux, à la télévision et dans les films.

Ce que je vis présentement avec ce grandiose paysage de sérénité et de calme vient incontestablement  contrecarrer les ambitions des ténèbres. La vie éclate ici.

-Nous avons une crainte viscérale de nous faire face et de nous voir tels que nous sommes. Et lorsque, dans la vie, cela nous arrive nous nous disons :’’ Ah ! Ce n’était que ça !  Pourquoi ne l’ai-je pas fait avant ?’’ La peur nous empêche d’y voir clairement.

Une bande de mésanges vient s’agripper au sommet d’un érable. Ils piaillent et caquassent comme des damnées. Une mésentente semble les diviser. Ils en sont comiques car tous piaillent en même temps on dirait que tout et chacun veut avoir le palier. Ils repartent sans avoir régler leur différent .La rivière glisse lentement  vers l’est : direction le fleuve  ensuite la mer.

J’apprécie ces instants de silence et de concentration. Temps de remise en question. Le temps de l’amour .Une autre pensée vient m’effleurer l’esprit.

 

 

 

-Pourquoi disons –nous : ‘’ tomber en amour ‘’? Nous ne ‘’tombons pas en amour mais bien nous nous élevons par l’amour .L’amour est sublime L’amour  nous emporte. Elle ne nous fait pas dégringoler. Au contraire .Nous nous envolons avec l’amour

Je me perds encore quelques instants dans mes paradoxes pour me ramener encore une fois sur mon paysage subtil. Je cherche les détails des deux clochers dans la rivière. Je les compare  aux clochers réels. L’effet est foudroyant et les détails sont clairs. Pourquoi dans nos vies cherchons-nous à projeter une image de nous-mêmes qui n’est pas nous-mêmes? Pour impressionner les autres, ou s’impressionner soi-même ? Lorsqu’on vit dans notre réalité et dans notre soi-même il y fait encore bien plus beau ; c’est moins souffrant.

Une légère brise vient de se lever ce qui a pour effet d’effacer l’image de la surface de l’eau. Je prends une profonde respiration et regarde l’heure. Malgré que je ne sois pressé nullement je me lève, m’étire, et me dirige vers le petit chemin qui conduit au stationnement. Sur la rue une auto passe en trombe tout en émettant des relents d’une musique douteuse  je me dis :

 

-Bienvenue dans le monde à nouveau.

 

Pierre D.

Les Ailes du Temps©

21 juin 2010

 

 

 

 

 

 



22/06/2010
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 2 autres membres