Maelstrom.
Maelström
Le cacassement de l’envolée d’outardes nous fait tous lever les yeux au zénith bleuté de la voute céleste. Le ‘’V’, parfait en sa forme, nous submerge. Il me semble que je me vois à l’intérieur de cet énorme ‘’V’’, me laissant transporter vers le sud; à la chaleur. Je suis installé sur un banc de parc non loin de deux hommes qui conversent. Pour l’instant ils sont silencieux et admirent les oiseaux se laisser porter par les ailes du vent. Les érables rougissent, eux aussi, de ce magnifique spectacle. L’automne est avancé et l’été indien expire. Je me fais indiscret et continue d’écouter à brûle pourpoint la conversation des deux inconnus. Le plus jeune semble passer par des expériences douloureuses ; perte d’emploi, séparation, maladie et autres malheurs de cet acabit. Le plus âgé, semble être un excellent confident, écoute l’autre récriminer contre tout et rien. Cachant sa face entre ses mains, le jeunot, tremble de soubresauts de ses pleurs. Le plus vieux le prend par les épaules et lui glisse à l’oreille :
-Vas-y pleure, déverse tes flots de larmes de rage. Fais de la place pour l’acceptation. Ce qui t’arrive n’est pas le fruit du hasard mais quelque chose de concocté depuis bien longtemps.
Nous n’avons pas conscience, dans notre vie, que tout le tissage de ce qui nous arrive vient souvent de très loin tout comme les poupées russes. De la plus grande à la plus petite elles ne forment qu’un tout. Et, pour découvrir la dernière des dernières qui se cache tout au fond du sein de celle qui la contient nous devons les ouvrir une à une. Tout comme nos comportements qui en cachent d’autres. Nos échecs et nos déceptions viennent de nos choix, de nos décisions d’antan.
Le jeune homme arrête son ainé et lui lance :
-Tout ce qui m’arrive est de ma faute, pour m’encourager; tu ne m’encourages pas vraiment !
À la suite d’un instant précieux de silence l’ainé reprend :
-Écoutes, il ne s’agit pas de dire que c’est ta faute ou non; mais bien de te demander quelles décisions dans ton cheminement tu t’es engagé à prendre. Est-ce toi qui a planifié, voulu ces situations ? Es-tu responsable de tes actes et de tes gestes ? Il s’agit de voir que si tu t’engageais dans ces directions il y aurait des risques de succès mais aussi d’échecs. Es-tu prêt à assumer cela ? Es-tu prêt à accepter les conclusions que tu vis aujourd’hui ? Es-tu prêt à y voir les plus belles et profitables leçons de vie et de continuer à progresser. Ou tu admets tes erreurs et tu en tires un bilan positif ou tu admets une défaite totale et tu te laisse aller à dépérir. En voilà tout un choix !
Une légère brise flotte entre les rayons ouateux du soleil .Des grives dansent d’un pas tantinet sur le gazon jaunissant. Des mésanges glapissent dans les buissons décharnés prêts pour la sombre saison. Léger silence entre les deux hommes. Je suis toujours à l’affût de la réponse du jeune homme ; je me sens un peu voyeur. Sur la rivière, un plaisancier profite du répit de cet instant de l’été pour naviguer en se laissant tanguer par le courant. Des promeneurs avec le vague à l’âme étirent leur marche. Le jeune homme, après avoir essuyé les dernières traces de larmes sur ses joues duveteuses réfléchit et reprend :
-Tu sais j’ai l’impression que la vie, depuis quelques jours, est un grand remous qui m’aspire vers le fond. C’est comme un maelström incontrôlable. Plus j’essaie de me débattre plus il m’entraîne et plus il m’entraîne plus je me sens couler à pic. Je vis d’angoisses et d’insécurité. Je me sens de plus en plus seul et isolé Par chance que tu sois là mon ami. Je suis à l’orée d’un grand désert sec et bouillant. Je sais que j’ai à le traverser ; vais-je y arriver ? C’est comme si on m’avait dépouillé de tous mes vêtements d’un seul coup. Je fais face au néant ; j’en suis conscient mais je n’ai pas la moindre idée de la direction à prendre. Ma boussole est devenue caduque. Mes points de repères sont annihilés et fondus dans l’immensité du tourbillon.
Un vol de canards vient interrompe le monologue du jeune homme. Ils viennent se poser sur l’eau face aux deux hommes. L’ainé les scrute pour découvrir leur belle petite tache bleu sur leurs ailes. Il regarde son compagnon et l’enjoint de continuer. Ce dernier s’exécute et demande :
-Je sais que tu as vécu beaucoup de choses semblables dans ton existence. Comment as-tu fait pour t’en sortir et vivre aussi sereinement que tu peux l’être aujourd’hui ? Comment as-tu fait face à ces affres de la vie et être bien aujourd’hui ?
Un grand sourire s’affiche sur le visage du vieil homme. Il ramasse à ses pieds un bout de branche qu’il brise en deux. Il les montre au jeune et lui dit :
-Vois –tu, nous pouvons avoir deux attitudes face aux problèmes de la vie ; ou bien nous essayons de les bombarder de questions, d’interrogations, de construction de toutes sortes de scénarios qui nous mènent nulle part sinon dans un trou noir béant ou dans un maelström comme tu dis si bien , ou bien , nous lâchons prise et acceptons la ou les situations. Et pourtant les deux font partie du même tout comme ces deux bouts de branche que je mets bout à bout de nouveau.
Mais dans toutes ces adversités, tout comme toi tu passes en ce moment, j’ai fait de ces maelströms des maelströms inversés. Non du haut vers le bas mais bien du bas vers le haut. J’en ai fait une apothéose, un éclatement de joies, un ramassis de bienfaits et une Ode à la joie de Beethoven. Je remercie le ciel de m’avoir amené ces épreuves pour me connaître plus en profondeur et ainsi savoir qui je suis vraiment. Me connaître avec mes forces, mes faiblesses, mes défauts et mes qualités. Ne pas remettre, aussi, sur le dos du premier ou de la première venue les effets de mes déboires. Reconnaître mes torts et pardonner aux autres les torts qu’ils m’ont faits.
Tu le sais j’aime la nature et on y trouve les meilleurs leçons de vie. Je m’en inspire fréquemment .Voilà comment je m’en suis sorti .Ce que tu vis sont des expériences dans ta vie. Et il y en aura d’autres. Tu sais tu n’es pas seul je suis là.
J’écoute ces paroles remplies de sagesse qui me font réfléchir profondément. Se servir de nos erreurs pour progresser. Quelle philosophie de vie. Voir ce qui nous arrive, qu’on croit négatif, pour avancer. Se servir de nos échecs comme un tremplin pour sauter à pieds joints dans la vie. J’aurais écouté cet homme des heures. Le jeune homme, encouragé, serre dans ses bras l’ainé et lui dit :
-Merci papa.
Les deux hommes se lèvent et se dirigent vers leur voiture, En passant près de moi le plus vieux me lance un cordial sourire avec un signe de tête pour me saluer.
Je me lève à mon tour et quitte cet endroit de prédilection souhaitant que le beau temps perdure. La vie est belle.
Pierre D.
Les Ailes du Temps©
Laval, 6/3/2010
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