Pierre Dulude

Pierre Dulude

Maelstrom.

Maelström

Le cacassement  de l’envolée  d’outardes nous fait tous lever les yeux au zénith bleuté de la voute céleste. Le ‘’V’, parfait en sa forme, nous submerge. Il me semble que je me vois à l’intérieur de  cet énorme ‘’V’’, me laissant transporter vers le sud; à la chaleur.  Je suis installé sur un banc de parc non loin de deux hommes qui conversent. Pour l’instant ils sont silencieux et admirent les oiseaux  se laisser porter par les ailes du vent.  Les érables rougissent, eux aussi, de ce magnifique spectacle. L’automne est avancé  et l’été indien expire. Je me fais indiscret et continue d’écouter à brûle pourpoint la conversation des deux inconnus. Le plus jeune semble passer par des expériences douloureuses ; perte d’emploi, séparation, maladie et autres malheurs de cet acabit. Le plus âgé, semble être un excellent confident, écoute l’autre récriminer contre tout et rien. Cachant sa face entre ses mains, le jeunot, tremble de soubresauts de ses pleurs. Le plus  vieux le prend par les épaules et lui glisse à l’oreille :

-Vas-y pleure, déverse tes flots de larmes de rage. Fais de la place pour  l’acceptation. Ce qui t’arrive n’est pas le fruit du hasard mais quelque chose de concocté depuis bien longtemps.

Nous n’avons pas conscience, dans notre vie, que tout le tissage de ce qui nous arrive vient souvent de très loin  tout comme les poupées russes. De la plus grande à la plus petite  elles ne forment qu’un tout. Et, pour découvrir la dernière  des dernières qui se cache tout au fond du sein de  celle qui la contient nous devons les ouvrir une à une.  Tout comme nos comportements  qui en cachent d’autres. Nos  échecs et  nos déceptions viennent de nos choix, de nos décisions d’antan. 

Le jeune homme arrête son ainé  et lui lance :
-Tout ce qui m’arrive est de ma faute, pour m’encourager; tu ne m’encourages  pas vraiment !

À la suite d’un instant précieux de silence  l’ainé reprend :

-Écoutes, il ne s’agit pas de dire que c’est ta faute ou non; mais bien de te demander quelles décisions dans ton cheminement tu t’es engagé  à prendre. Est-ce toi qui a planifié, voulu ces situations ? Es-tu responsable de tes actes et de tes gestes ?  Il s’agit de voir que  si tu t’engageais dans ces directions  il y aurait des risques de succès mais aussi d’échecs. Es-tu prêt à assumer cela ? Es-tu prêt à accepter les conclusions que tu vis aujourd’hui ? Es-tu prêt à y voir les plus belles et profitables leçons de vie  et de continuer à progresser. Ou tu admets tes erreurs et tu en tires un bilan positif ou tu admets une défaite totale et tu te laisse aller à dépérir. En voilà tout un choix !

Une légère brise flotte  entre les rayons ouateux du soleil .Des grives  dansent  d’un pas tantinet sur le gazon jaunissant.  Des mésanges glapissent dans les buissons décharnés prêts pour la sombre saison. Léger silence entre les deux hommes. Je suis toujours à l’affût de la réponse du jeune homme ; je me sens un peu voyeur. Sur la rivière, un plaisancier profite  du répit de cet instant de l’été  pour naviguer  en se laissant tanguer par le courant.  Des promeneurs avec le vague à l’âme étirent leur marche. Le jeune homme, après avoir essuyé les dernières traces de larmes sur ses joues duveteuses  réfléchit et reprend :

-Tu sais  j’ai l’impression que la vie, depuis quelques jours, est un grand remous qui m’aspire vers le fond. C’est comme un maelström  incontrôlable. Plus j’essaie de me débattre plus il m’entraîne  et plus il m’entraîne  plus je me sens couler à pic. Je vis d’angoisses et d’insécurité. Je me sens de plus en plus seul et isolé Par chance que tu sois là mon ami. Je suis à l’orée d’un grand désert sec et bouillant. Je sais que j’ai à le traverser ; vais-je y arriver ? C’est comme si on m’avait dépouillé de tous mes vêtements  d’un seul coup. Je fais face au néant ; j’en suis conscient mais je n’ai pas la moindre idée de la direction à prendre. Ma boussole est devenue caduque. Mes points de repères sont annihilés et fondus dans l’immensité du tourbillon.

Un vol de canards vient interrompe le monologue du jeune homme. Ils viennent se poser sur l’eau face aux deux hommes. L’ainé  les scrute pour découvrir leur belle petite tache bleu sur leurs ailes. Il regarde  son compagnon et l’enjoint de continuer. Ce dernier  s’exécute  et demande :

-Je sais que tu as vécu beaucoup de choses  semblables dans  ton existence. Comment as-tu fait pour  t’en sortir et vivre aussi sereinement que tu peux l’être aujourd’hui ? Comment as-tu fait face à ces affres de la vie et être bien aujourd’hui ?

Un grand sourire s’affiche sur le visage du vieil homme.  Il ramasse à ses pieds un bout de branche qu’il brise  en deux. Il les montre au jeune  et lui dit :
-Vois –tu, nous pouvons avoir  deux attitudes face aux problèmes de la vie ; ou bien nous essayons de les bombarder de questions, d’interrogations, de construction de toutes sortes de scénarios  qui nous mènent nulle part sinon dans un trou noir béant ou dans un maelstr
öm comme tu dis si bien , ou bien , nous  lâchons prise et  acceptons la ou les situations. Et pourtant  les deux font partie du même tout comme ces deux bouts de branche que je mets bout à bout de nouveau.

 Le plus important c’est d’avoir le calme intérieur pour ce faire. Tu sais, oui, j’en ai eu des moments difficiles à passer et laisse moi te dire pas toujours heureux. Je venais ici et lorsque les calamités m’accablaient  je  faisais le silence et  j’essayais d’écouter ce qui m’entourait. Par exemple, je me disais tout en écoutant la nature, combien de chants d’oiseaux  puis-je  identifier aujourd’hui?  Souvent  la réponse était surprenante. Dix ou douze sortes d’oiseaux bien identifiés. Entends –tu les chants d’oiseaux présentement ? Pendant ce temps  le calme était rétabli dans mon for intérieur et  les solutions aux problèmes apparaissaient comme lèvent les brumes.

Mais dans toutes ces adversités, tout comme toi tu passes en ce moment, j’ai fait de ces maelströms  des maelströms inversés. Non du haut vers le bas mais bien du bas vers le haut. J’en ai fait une apothéose, un éclatement de joies, un ramassis de bienfaits  et une Ode à la joie de Beethoven. Je remercie le ciel de m’avoir amené ces  épreuves pour me connaître plus en profondeur et ainsi savoir qui je suis vraiment. Me connaître avec mes forces, mes faiblesses, mes défauts et mes qualités. Ne pas remettre, aussi, sur le dos du premier ou de la première venue les effets de mes déboires. Reconnaître mes torts et pardonner aux autres les torts qu’ils m’ont faits.
Tu le sais j’aime la nature  et on y trouve les meilleurs leçons de vie. Je m’en inspire fréquemment .Voilà  comment je m’en suis sorti .Ce que tu vis  sont des expériences dans ta vie. Et il y en aura d’autres. Tu sais tu n’es pas seul je suis là.

J’écoute ces paroles remplies de sagesse qui me font réfléchir profondément. Se servir de nos erreurs pour progresser. Quelle philosophie de vie. Voir ce qui nous arrive, qu’on croit négatif, pour avancer. Se servir de nos échecs comme un tremplin pour sauter à pieds joints dans la vie. J’aurais écouté cet homme des heures. Le jeune homme, encouragé, serre dans ses bras l’ainé et lui dit :

-Merci papa.

Les deux hommes se lèvent et se dirigent vers leur voiture, En passant près de moi le plus vieux me lance un cordial sourire avec un  signe de  tête pour me saluer.

Je me lève à mon tour et quitte cet endroit de prédilection souhaitant que le beau temps perdure. La vie est belle.


Pierre D.

Les Ailes du Temps©

Laval, 6/3/2010

 



06/03/2010
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