Les bons souvenirs.....
Les bons souvenirs ne font pas souffrir.
(À mon frère Alain ( 1949/1992))
Ce matin la rivière glisse tout en douceur vers sa destinée. On a le goût de la flatter, de la caresser, tellement les minuscules cascades déambulent délicatement. Son grand ami le soleil lui prête main forte. Une légère brise nous renvoie les parfums des plantes sauvages sur les abords du cours d’eau. Un calme serein s’agite. Les oiseaux profitent amplement de ce tableau de maître .Une canne et ses huit petits, tout agglutinés autours de leur mère, voguent vers un repas impatiemment réclamé. Sous l’eau on peut déceler des poissons à la recherche de leur pitance, eux aussi. Ils laissent sur la surface de l’onde des sillons qui trahissent leur présence. Des goélands, à l’affût et à l’œil perçant, guettent les imprudents inexpérimentés qui sautent hors de l’eau pour attraper quelques insectes qui se sont aventurés au-delà des berges. À certains moments une jeune perchaude bondit hors de l’eau pour happer une mouche malheureuse. Le poisson retombe dans l’eau tout en y traçant des cercles qui s’agrandissent au fur et à mesure qu’ils s’approchent du bord. Sur une distance, d’environ cinquante mètres, un mastodonte, probablement une carpe, s’élance hors de l’onde pour happer une libellule .Elle retourne à l’eau avec un tel fracas qu’il est impossible de l’ignorer. Mes yeux en sont éberlués.
Je m’exclame :
-As-tu vu ça ! Ça ne se peut presque pas. Et aucun pêcheur dans les environs.
La carpe continue son manège tout en s’approchant de plus en plus des rebords. J’admire le spectacle aux premières loges. Un flash me passe par l’esprit. Je me remémore les parties de pêche que nous nous faisions, mon frère Alain et moi, dans les étés de notre enfance, nous avions dix ou douze ans. Et c’est sur les bords de cette même rivière que nous venions à très de bonne heure les samedis matin. Nous nous préparions comme si nous allions partir pour deux mois et, en fait, nous partions que pour quelques heures. Notre endroit de prédilection se trouvait à environ dix minutes à bicyclette de chez nous; tout au bas de notre rue. Nous étions fébriles de nous installer et à nous les poissons.
Je me souviens d’une fois….
La veille de ce beau samedi du mois de juillet nous cherchons désespérément des vers de terre dans notre cour arrière avec une lampe de poche. La cueillette est bonne et abondante ; cent à cents cinquante beaux spécimens. Satisfaits nous entrons dans la maison pour finaliser de préparer notre équipement. Lignes à pêche, pièces de rechange, hameçons, corde, pesées et tout l’attirail. Notre coffre à pêche, que nous partagions, déborde de tous les instruments aussi hétéroclites les uns que les autres. Nous n’oublions pas le canif, la paire de pince et les pansements. Nous allons nous coucher tout en se souhaitant une bonne pêche pour le lendemain.
Aux petites aurores nous nous levons et après avoir ingurgité un café à la sauvette nous nous versons un thermos de ce bon nectar, nous engouffrons dans un sac des biscuits pour notre collation et déjeuner. Nous ramassons notre paquetage en le divisant à parts égales, nous enfourchons nos bicyclettes, et, vive l’aventure.
Le soleil n’est pas encore sur son rempart, nous descendons la rue encore
endormie .Une brume matinale dort sur les berges de la rivière .Les premiers rayons de l’astre du jour se pointent à l’horizon tout en nous exhibant un spectacle lumière et couleurs à notre goût. Nous nous installons à notre endroit préféré ; là se trouvent d’immenses pierres pour nous asseoir. L’équipement sécurisé dans un endroit sec, ainsi que notre collation, nous préparons nos lignes pour les jeter frétillement à l’eau. Le soleil s’étire tout en baillant, surpris de voir là, nous le saluons. Commence la parade que tous pêcheurs connaissent : lance la ligne, ramène la ligne, change de vers, relance la ligne. On se prend dans les fonds on coupe la corde et on recommence jusqu’au moment de se verser un premier café et de se faire quelques confidences entre nous. De chanter des chansons quelques peu grivoises et d’employer des sacres, choses que nous n’oserions pas faire devant notre mère qui nous menacerait de nous laver la bouche avec du savon. Alain et moi on se regarde et nous nous esclaffons de rire. Un rire communicatif, un rire d’enfant.
-Qu’est ce que tu veux faire, toi Alain, plus tard ?
Il me regarde et interrogatif me dit :
-Je ne sais pas. Notaire peut-être ?
Tout en surveillant ma ligne à pêche qui tremblote je lui dis :
-Oui je te vois notaire ou bien curé. Quand tu servais la messe ça te faisait bien ta petite soutane.
Il me regarde abasourdi :
-Curé ! Pense pas. Et toi que veux –tu faire ?
Je lui rétorque :
-Moi non plus je ne sais pas. Mineur en quelque part au nord du Québec.
Tout en parlant la ligne à pêche de mon frère se tend à sa limite.
-Pierre, Pierre j’en ai un gros. Un requin, non, une baleine. Ça tire. Regarde!
Comme il me dit cela ma ligne, à son tour, se bande et fait plier la canne.
-Et c’est parti mon frère pour la pêche miraculeuse du siècle.
À force d’efforts de tension et d’assouplissements Alain finit par sortir de l’eau une
énorme perchaude. À mon tour, aussi, j’extirpe de l’onde une perchaude quasiment
de même poids. Nous sommes excités par l’adrénaline. Nous attachons nos prises à
notre chaine et rejetons nos lignes à l’eau. Nous chantons à gorges déployées en se
serrant la main. Nos chats vont avoir du beau poisson à manger pour toute la
semaine. Le soleil, maintenant, domine l’horizon et une légère brise fait balancer
nos cordes au dessus de l’eau. Nous nous installons sur nos pierres favorites et
attendons. Sans crier gare le manège repart en plus grande. Nous avons sorti de la
rivière plus de trente poissons, ce matin là. Perchaudes, barbottes et crapets-soleil.
Notre pêche miraculeuse a eu lieu et nous en étions fiers. Vers onze heures du matin,
satisfaits et fatigués nous rentrons nos lignes et plions bagage.
En remontant la rue, maintenant en effervescence, les gens nous félicitaient de nos
prises. En arrivant à la maison nous exhibions nos trophées aux autres membres de
la famille, surtout à nos parents. Ma mère s’empressait de placer les poissons dans le
congélateur car ils servaient de nourriture à notre multitude de chats que nous
possédions .Joyeux et la fatigue se lisant dans nos yeux nous allions nous laver au
grand dam de notre mère qui s’exclamait :
-Vous ne sentez que le poisson. Allez-vous changer.
Alain et moi, tout en riant, nous nous exécutions. Et, ho! Combien d’histoires
racontions-nous pour impressionner notre auditoire.
C’est ce soir –là, après nous être promis de retourner vers notre antre miraculeux
de la rivière que nous nous sommes dit que nous serions camarades à la vie comme
à la mort. Nous nous endormions, encore sous l’effet de cette belle journée, en toute
quiétude .
Je soupire allégrement et souris. Quels beaux souvenirs. Un goéland passe au dessus
de ma tête en lançant un cri strident. Au même moment, en duo, deux énormes
carpes virevoltent au dessus de l’eau créant un amas de petites vagues ; elles ont vu
la même proie.
Je suis heureux qu’il n’y ait pas de pêcheur.
Pierre D.
Les Ailes du Temps
Laval, 24 juillet 2010
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