Pierre Dulude

Pierre Dulude

L'escalier.

 

 

L’escalier

Le printemps solidement ancré dans nos vies et sur la nature ravigote .La vie est belle et éclate de partout .Les bourgeons d’un beau vert tendre et timides foisonnent  sur les branches d’arbres. Les oiseaux follement   amoureux agissent comme des bouffons  dans le parc. L’air est bon et serein. L’odeur de l’humus imprègne nos narines d’une suave flagrance de résurrection. Trois petits écureuils, une mère et ses petits, explorent le territoire .Le soleil  se met de la partie de cache-cache. Je fais le tour du minuscule parc pour voir où en sont les plantations d’arbre que nous avons fait la dernière fois.  Mon ami Max n’est pas  là ; peut-être vais-je le voir aujourd’hui. Quelques pousses peinent à sortir de terre je les aide en enlevant des branches et des feuilles mortes qui ralentissent leur croissance .Les minces rejetons olivâtres brillent à l’astre du jour. Tout comme des nouveaux nés  ils sourient à la vie. Sur  l’arc de cercle que nos avons décrit, on y voit la multitude de bébés-chêne  qui feront la gloire de ce parc dans cent ans; un jour à la fois. Je planifie pour une prochaine session une future plantation mais plus en recul cette fois dans le sous-bois ; projet d’avenir.

Je reviens m’installer au beau milieu de la zone verte et essaie de distinguer les chants d’oiseaux. Un murmure, un bourdonnement vient m’agacer à l’oreille .Je me retourne : rien. Je regarde vers ma gauche et vers ma droite ; toujours rien. Les ondes viennent  de derrière la petite colline où sont les  jeux des enfants. Je sursois et continue mon investigation de chants d’oiseaux. Le chuchotis s’amplifie et redescends. Ma curiosité  est en pointe :

-Mais qu’est ce que ce bruit ? Qu’est ce que ce manège ?

Décidé je me lève et regarde  au loin vers la glissade des enfants et n’y vois rien .Je me rassois et prends quelques bonnes bouffées d’air et me dis  tout haut :

-Ah! Qu’on est bien ce matin. Voyons où en étais-je ? Ah oui les mésanges….

 Comme je reprends ma liste d’oiseaux je distingue clairement, cette fois, une voix d’homme au travers des arbres  venant de la direction du parc de jeux des enfants. On aurait dit une plainte ou plutôt une complainte .Je me redresse sur mes jambes et, prudemment, me dirige vers ce bruit étrange :

-Il y a peut-être quelqu’un qui a besoin d’aide, ou une personne  en difficulté.

D’un pas furtif je me dirige vers  la voix saccadée. Les écureuils traversent en toute hâte le petit chemillon et vont se fondre dans les taillis des arbres jonchés au sol. Je débouche sur  l’aire de jeux des enfants et y aperçois un vieux monsieur blotti sur un banc de parc. Il à fière allure .Il tient dans ses mains un canif et un bout de branche  qu’il  dépèce. Un mince amoncellement de copeaux gît à ses pieds. À chaque coups de couteau il nomme quelqu’un ou un objet quelconque et un copeau vole dans les airs pour retomber à ses pieds :

-Tiens Albert, tiens la banque, tiens les actions, tiens l’argent.

Je l’observe du coin de l’œil et pense me retirer en douceur pour ne pas interrompe ses agissements .Trop tard il m’a vu  et, du coup, cesse sa sculpture effrénée. Il repose son coutelas et son morceau de bois  près de lui. Je sens dans son regard un vide immense et un chagrin démentiel. Pendant quelques secondes éternelles j’hésite à continuer mes pas vers lui ou bien m’enfuir .Comme un trou noir dans l’univers, je me sens attiré par la gesticule de cette personne .Mes jambes me conduisent directement face à lui. Je me demande intérieurement :

-Comment l’aborder ?

Et je trouve :

-Êtes-vous sculpteur ? Vous semblez bien parti. Quelle belle journée n’est ce pas ?

Hésitant il me fixe entre les deux yeux, je viens de déranger son existence :

 -Non, non ce n’est que pour m’amuser et défouler. Un de mes amis m’avait conseillé, lorsque ça n’allait pas, de ‘’gosser’’ un morceau de bois pour faire ressortir  ce qui nous bouleverse. Alors  je me suis mis à la tâche .Un coup de couteau, un copeau, un problème. Mais je vois que ça ne règle en rien ce que je vis présentement .Et ce que je vis dans le moment présent, je crois, rien ne pourra l’atténuer ou même le faire disparaître.

Sur  ce il garde silence  et reprends son travail d’artiste ébouriffé. Je lui demande si je peux m’installer à ses côtés  et, moi aussi, tailler une branche. Il acquiesce, je sors mon couteau de poche et nous voilà tous les deux à accumuler des minuscules copeaux de bois à nos pieds. Le soleil aidant, la conversation s’amorce. Il me dit, tout de go :

-Vous savez  lorsqu’on vit un rêve depuis des années et des années et que ce rêve a été anéantit par la malhonnêteté de certains on en devient amères. On en devient acerbes, en esprit de vengeance. Pendant des années vous accumulez une petite fortune, sans prétention, mais qui vous servira pour vos vieux jours .Et voilà qu’un de vos proches vous déclare qu’il connaît un moyen de faire doubler et même peut-être tripler ce petit avoir et vous convaincs de l’investir dans des sources fiables à
lui .Vous le croyez sur parole et lui confiez votre gain. Les rêves inimaginables que nous avons fait, mon épouse et moi, sont indescriptibles. En ayant plus du double de ce que nous pensions nous nous sommes crus riches comme Crésus. À nous la grande vie. Et, un jour, nous apprenons que notre cousin, oui notre cousin, s’est enfui avec toutes nos économies; adieux veau, vache, cochon et couvée nous nous retrouvons gros-jean comme devant. Nous n’avons que la maigre pension du gouvernement et notre bien actuel.

Le silence s’installe à nouveau .Seuls les coups de couteau dans nos branches l’effleurent. Je me lève et ramasse une branche plus longue et je me dis à moi-même :

-Tiens je vais me faire un bâton de marche.

Je regarde mon compagnon qui a repris son regard évidé :

-Avez-vous fait des démarches juridiques pour récupérer  vos avoirs ?

Il  fixe son  bout de bois et agressivement se met à le tailler en biseaux profonds :

-Vous ne vous imaginerez jamais les démarches que nous avons faites et ont été stériles  jusqu’à aujourd’hui. Ce matin nous avons reçu une lettre de nos avocats qui nous disent que tous les recours juridiques ont été épuisés. Mais leur honoraires, à eux, ne sont pas épuisés. Alors, ma conjointe et moi, avons décidé de ne plus rien entreprendre et de tout laisser tomber. Vous savez, je sens que j’ai descendu un escalier depuis  plus de deux ans maintenant et que j’en suis rendu à la dernière marche .Je suis assis dans cet escalier comme paralysé. Tout au long de la descente j’ai  perdu des plumes. Jamais plus je ne pourrais être sur la première marche tout en haut. Jamais. Ils nous ont tués.

Je m’arrête de tailler ma future canne  et lui dis :

-Vous avez encore  votre épouse, à deux en se supportant ça va mieux,  vous avez encore votre toit sur la tête ?

Il me répond en essuyant une larme qui lui coule sur la joue :

-Oui pour ça ; mais je ne voulais pas finir ma vie de cette façon, dans la presque pauvreté. L’orgueil en prend un coup, vous savez. J’ai travaillé toute ma vie pour avoir une retraite confortable. Et lorsqu’on voit tout ce qui se passe dans la société il y a de quoi  verdir de honte. Tous ces scandales, cette corruption, ces vols, ces extorsions même la pédophilie qui trône dans l’Église ; à qui pouvons nous avoir confiance maintenant ? Dites le moi…. à qui ?

Le couperet du silence s’abat brutalement. Temps d’une pause profonde. Je constate la dure épreuve que subit mon interlocuteur .Ses coups de couteau dans son bout de bois s’amenuisent .Je reprends :

 -Voilà qui va me faire un beau bâton de marche. Vous savez, et ce n’est que mon opinion, je n’ai pas vécu cette expérience par laquelle vous passez mais j’en ai vécues d’autres. Il y  a et y aura toujours des briseurs de rêves, des voleurs et du monde qui vont s’accaparer du bonheur des autres. Où il y de l’homme il y a de l’hommerie. La cupidité, l’envie et tous les maux de notre société seront là tant et aussi longtemps que les hommes ne penseront qu’à eux égoïstement. Au plus fort la poche  comme disait mon  père .Tout devient égoïste dans ce monde. Penser aux autres et les respecter semble être effacé  de nos codes moraux qui ont étés sclérosés depuis la nuit des temps. Tout est permis aujourd’hui. Et, si vous remarquez, tout cet ambages n’en est que pour du matériel. Ceux qui vous ont détroussé ne vous ont pas tué mais bien tué vos rêves de sécurité. En ont-ils plus d’argent ? J’en doute. Ils ont anéanti vos perspectives de belle retraite confortable. Ils ont brûlés vos désirs de vous calfeutrer dans un petit nid douillet sans  complications. Et vos rêves, vos aspirations, en étaient tout à fait légitimes. Mais il y a une raison à tout ce que nous vivons, en bien ou en mal.

Je prends une petite inspiration pour vérifier que je n’importune pas mon monsieur et je continue :

-Un jour ou l’autre tous ces gens vont avoir à faire face à la justice  ou à eux-mêmes. Un jour ou l’autre ils auront une facture à payer et ils passeront à la caisse .Ce n’est probablement pas vous qui les ferez payer. Tout comme ceux qui ont un rôle dans notre société, même l’Église. En attendant, pour vous, comme vous avez décidé de tout laisser tomber ces poursuites et ces affres, laisser tomber en coupant le cordon  comme on coupe le cordon pour le nouveau-né. Et le meilleur scalpel pour faire ce travail en est le pardon. Ne restez pas avec de la colère en vous jusqu’au tombeau. Une vie nouvelle s’offre à vous  et les quelques années qui vous restent à vivre peuvent en être de très belles années remplies de joies et d’accomplissement. Vivez avec ce que vous avez et contentez vous  du moment présent, aujourd’hui; là. Regardez comme la nature est belle et invitante. Venez avec votre épouse demain elle en sera très heureuse.

J’arrête mon petit laïus et place ma grande branche en face de moi pour calculer les prochains coups de couteau pour la taille. Mon monsieur, pensif, me dit :

 

-Vous avez bien raison. Il est évident que c’est un coup dur  mais ça passera. Le temps arrange bien les choses .Nous allons laisser au temps de faire son temps .Je m’aperçois en jouant avec mon couteau et cette petite branche qu’il y a longtemps que je veux faire de la sculpture; je vais m’y mettre aujourd’hui même.

Je me lève et retourne vers mon banc au centre du parc. En quittant mon vieux monsieur je lui laisse mon bâton de marche et l’encourage à continuer l’œuvre. Il me sourit et me dit qu’il reviendra me monter les derniers résultats.

Les écureuils se reposent maintenant au sommet d’une branche et les oiseaux piaillent aussi prestement.

 

Pierre D.

Les Ailes du Temps ©

Laval

18 avril 2010

 

 

 

 



18/04/2010
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 2 autres membres