L'escalier.
L’escalier
Le printemps solidement ancré dans nos vies et sur la nature ravigote .La vie est belle et éclate de partout .Les bourgeons d’un beau vert tendre et timides foisonnent sur les branches d’arbres. Les oiseaux follement amoureux agissent comme des bouffons dans le parc. L’air est bon et serein. L’odeur de l’humus imprègne nos narines d’une suave flagrance de résurrection. Trois petits écureuils, une mère et ses petits, explorent le territoire .Le soleil se met de la partie de cache-cache. Je fais le tour du minuscule parc pour voir où en sont les plantations d’arbre que nous avons fait la dernière fois. Mon ami Max n’est pas là ; peut-être vais-je le voir aujourd’hui. Quelques pousses peinent à sortir de terre je les aide en enlevant des branches et des feuilles mortes qui ralentissent leur croissance .Les minces rejetons olivâtres brillent à l’astre du jour. Tout comme des nouveaux nés ils sourient à la vie. Sur l’arc de cercle que nos avons décrit, on y voit la multitude de bébés-chêne qui feront la gloire de ce parc dans cent ans; un jour à la fois. Je planifie pour une prochaine session une future plantation mais plus en recul cette fois dans le sous-bois ; projet d’avenir.
Je reviens m’installer au beau milieu de la zone verte et essaie de distinguer les chants d’oiseaux. Un murmure, un bourdonnement vient m’agacer à l’oreille .Je me retourne : rien. Je regarde vers ma gauche et vers ma droite ; toujours rien. Les ondes viennent de derrière la petite colline où sont les jeux des enfants. Je sursois et continue mon investigation de chants d’oiseaux. Le chuchotis s’amplifie et redescends. Ma curiosité est en pointe :
-Mais qu’est ce que ce bruit ? Qu’est ce que ce manège ?
Décidé je me lève et regarde au loin vers la glissade des enfants et n’y vois rien .Je me rassois et prends quelques bonnes bouffées d’air et me dis tout haut :
-Ah! Qu’on est bien ce matin. Voyons où en étais-je ? Ah oui les mésanges….
-Il y a peut-être quelqu’un qui a besoin d’aide, ou une personne en difficulté.
D’un pas furtif je me dirige vers la voix saccadée. Les écureuils traversent en toute hâte le petit chemillon et vont se fondre dans les taillis des arbres jonchés au sol. Je débouche sur l’aire de jeux des enfants et y aperçois un vieux monsieur blotti sur un banc de parc. Il à fière allure .Il tient dans ses mains un canif et un bout de branche qu’il dépèce. Un mince amoncellement de copeaux gît à ses pieds. À chaque coups de couteau il nomme quelqu’un ou un objet quelconque et un copeau vole dans les airs pour retomber à ses pieds :
-Tiens Albert, tiens la banque, tiens les actions, tiens l’argent.
Je l’observe du coin de l’œil et pense me retirer en douceur pour ne pas interrompe ses agissements .Trop tard il m’a vu et, du coup, cesse sa sculpture effrénée. Il repose son coutelas et son morceau de bois près de lui. Je sens dans son regard un vide immense et un chagrin démentiel. Pendant quelques secondes éternelles j’hésite à continuer mes pas vers lui ou bien m’enfuir .Comme un trou noir dans l’univers, je me sens attiré par la gesticule de cette personne .Mes jambes me conduisent directement face à lui. Je me demande intérieurement :
-Comment l’aborder ?
Et je trouve :
-Êtes-vous sculpteur ? Vous semblez bien parti. Quelle belle journée n’est ce pas ?
Hésitant il me fixe entre les deux yeux, je viens de déranger son existence :
Sur ce il garde silence et reprends son travail d’artiste ébouriffé. Je lui demande si je peux m’installer à ses côtés et, moi aussi, tailler une branche. Il acquiesce, je sors mon couteau de poche et nous voilà tous les deux à accumuler des minuscules copeaux de bois à nos pieds. Le soleil aidant, la conversation s’amorce. Il me dit, tout de go :
-Vous savez lorsqu’on vit un rêve depuis des années et des années et que ce rêve a été anéantit par la malhonnêteté de certains on en devient amères. On en devient acerbes, en esprit de vengeance. Pendant des années vous accumulez une petite fortune, sans prétention, mais qui vous servira pour vos vieux jours .Et voilà qu’un de vos proches vous déclare qu’il connaît un moyen de faire doubler et même peut-être tripler ce petit avoir et vous convaincs de l’investir dans des sources fiables à
lui .Vous le croyez sur parole et lui confiez votre gain. Les rêves inimaginables que nous avons fait, mon épouse et moi, sont indescriptibles. En ayant plus du double de ce que nous pensions nous nous sommes crus riches comme Crésus. À nous la grande vie. Et, un jour, nous apprenons que notre cousin, oui notre cousin, s’est enfui avec toutes nos économies; adieux veau, vache, cochon et couvée nous nous retrouvons gros-jean comme devant. Nous n’avons que la maigre pension du gouvernement et notre bien actuel.
Le silence s’installe à nouveau .Seuls les coups de couteau dans nos branches l’effleurent. Je me lève et ramasse une branche plus longue et je me dis à moi-même :
-Tiens je vais me faire un bâton de marche.
Je regarde mon compagnon qui a repris son regard évidé :
-Avez-vous fait des démarches juridiques pour récupérer vos avoirs ?
Il fixe son bout de bois et agressivement se met à le tailler en biseaux profonds :
-Vous ne vous imaginerez jamais les démarches que nous avons faites et ont été stériles jusqu’à aujourd’hui. Ce matin nous avons reçu une lettre de nos avocats qui nous disent que tous les recours juridiques ont été épuisés. Mais leur honoraires, à eux, ne sont pas épuisés. Alors, ma conjointe et moi, avons décidé de ne plus rien entreprendre et de tout laisser tomber. Vous savez, je sens que j’ai descendu un escalier depuis plus de deux ans maintenant et que j’en suis rendu à la dernière marche .Je suis assis dans cet escalier comme paralysé. Tout au long de la descente j’ai perdu des plumes. Jamais plus je ne pourrais être sur la première marche tout en haut. Jamais. Ils nous ont tués.
Je m’arrête de tailler ma future canne et lui dis :
-Vous avez encore votre épouse, à deux en se supportant ça va mieux, vous avez encore votre toit sur la tête ?
Il me répond en essuyant une larme qui lui coule sur la joue :
-Oui pour ça ; mais je ne voulais pas finir ma vie de cette façon, dans la presque pauvreté. L’orgueil en prend un coup, vous savez. J’ai travaillé toute ma vie pour avoir une retraite confortable. Et lorsqu’on voit tout ce qui se passe dans la société il y a de quoi verdir de honte. Tous ces scandales, cette corruption, ces vols, ces extorsions même la pédophilie qui trône dans l’Église ; à qui pouvons nous avoir confiance maintenant ? Dites le moi…. à qui ?
Le couperet du silence s’abat brutalement. Temps d’une pause profonde. Je constate la dure épreuve que subit mon interlocuteur .Ses coups de couteau dans son bout de bois s’amenuisent .Je reprends :
Je prends une petite inspiration pour vérifier que je n’importune pas mon monsieur et je continue :
-Un jour ou l’autre tous ces gens vont avoir à faire face à la justice ou à eux-mêmes. Un jour ou l’autre ils auront une facture à payer et ils passeront à la caisse .Ce n’est probablement pas vous qui les ferez payer. Tout comme ceux qui ont un rôle dans notre société, même l’Église. En attendant, pour vous, comme vous avez décidé de tout laisser tomber ces poursuites et ces affres, laisser tomber en coupant le cordon comme on coupe le cordon pour le nouveau-né. Et le meilleur scalpel pour faire ce travail en est le pardon. Ne restez pas avec de la colère en vous jusqu’au tombeau. Une vie nouvelle s’offre à vous et les quelques années qui vous restent à vivre peuvent en être de très belles années remplies de joies et d’accomplissement. Vivez avec ce que vous avez et contentez vous du moment présent, aujourd’hui; là. Regardez comme la nature est belle et invitante. Venez avec votre épouse demain elle en sera très heureuse.
J’arrête mon petit laïus et place ma grande branche en face de moi pour calculer les prochains coups de couteau pour la taille. Mon monsieur, pensif, me dit :
-Vous avez bien raison. Il est évident que c’est un coup dur mais ça passera. Le temps arrange bien les choses .Nous allons laisser au temps de faire son temps .Je m’aperçois en jouant avec mon couteau et cette petite branche qu’il y a longtemps que je veux faire de la sculpture; je vais m’y mettre aujourd’hui même.
Je me lève et retourne vers mon banc au centre du parc. En quittant mon vieux monsieur je lui laisse mon bâton de marche et l’encourage à continuer l’œuvre. Il me sourit et me dit qu’il reviendra me monter les derniers résultats.
Les écureuils se reposent maintenant au sommet d’une branche et les oiseaux piaillent aussi prestement.
Pierre D.
Les Ailes du Temps ©
Laval
18 avril 2010
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