Pierre Dulude

Pierre Dulude

Défi...connaître.

  

 

 

   

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Défi….connaître !

 

 

D’un pas lent et sûr je longe le chemin bordant l’orée de la forêt .Les mésanges et les geais bleus nous soulent de leurs chants tout en étant dissimulés entre les branches. Le printemps s’avance indéfectiblement. Le vert tendre des feuillus caresse mes yeux doucement, je respire à fond cette nature simple et énergique. Dans le ciel, d’un bleu de carte postale, seulement quelques petits amas de ouate déambulent discrètement .Le soleil les tolère et en fait fit. Je débouche sur le sentier face aux pylônes de transport d’électricité. Pour faire passer leur ligne de transmission les hommes ont créé une  vaste zone désherbée, presque désertique ou il n’y pousse que quelques arbustes téméraires qui passeront sous les couperets des nettoyeurs de la compagnie d’électricité d’ici la fin de l’été. Les oiseaux se risquent sous les immenses fils pendant d’un pylône à l’autre.

 

Ces lignes de transport d’énergie magique ont leur utilité pour tous. Ce n’est pas ce qui m’occupe. Plus loin, à environ cinq ou six cents mètres, une montagne – on peut dire une montagnette- qui fait environ sept ou huit cents mètres dans sa hauteur  m’invite, depuis un certain temps, à la gravir et  aller admirer le point de vue. Je sais que cette montée peut se trouver difficile. Je calcule, j’enligne ce gros amas de terre et de roches, j’essaie de voir s’il n’y a pas un chemin de tracé ou un sentier par lequel on peut accéder au sommet. Peine perdue. Je remarque  des touffes de conifères un peu partout sur les flancs et je me dis que je pourrais en faire des étapes de halte. Mon esprit en branle se met  à élaborer un plan méticuleux pour l’ascension de  ce défi. Mon corps s’objecte. Marcher ça va ; mais grimper c’est une autre histoire.

 

Je finis par me convaincre, au moins, d’essayer. Je regarde de tous les côtés  car je vais m’aventurer sur une propriété privée. Je traverse le non man’s land, sous les pylônes, assez rapidement  et arrive au pied de la montagne. Vu de cet angle elle est encore plus immense que je ne la voyais. Je me dirige vers ma droite et y vois comme une entrée entre des pins qui sifflent au vent. Je jette un regard rapide vers mes arrières et entreprend l’escalade en prenant bien soin de m’aider par les branches d’arbres épars ici et là. Les quelques cents premiers mètres, aidés par l’adrénaline, que je parcoure viennent  chercher mon souffle. J’arrête à ma première halte et m’assois sur une  immense roche encore recouverte de sable. Déjà le coup d’œil en vaut la peine .La ligne de transport d’électricité rapetisse à vue d’œil. Je me croirais en téléférique.

 

Quelques minutes suffisent pour m’encourager à continuer. Je fixe mon prochain objectif  à environ deux cents mètres plus haut. J’établis mon parcours qui sera ponctué par un petit détour car il y a sur le chemin des conifères dressés comme des sentinelles qui bloquent  tout accès au chemin. Je me remets sur mes pieds et m’encourage  par des phrases positives :

 

-Allez un effort  et on va y arriver !

 

Me campant solidement sur mes deux jambes je fais les premiers pas et recommence à grimper ma bravade. Je m’agrippe, cette fois, à des branches de cèdre qui, sans récriminer, m’aident dans ma montée. J’atteins ma deuxième halte tout en sueur et haletant. Je m’écrase sur le sol  et des pensées rébarbatives m’assaillent. Mon souffle revenu, un combat entre le continuer et arrêter fait rage dans ma tête. Je respire profondément et ferme les yeux .Après cet instant de réflexion je décide de poursuivre faisant la sourde oreille aux plaintes des mes muscles. Je me retourne et fixe mon futur objectif qui me mènera à plus de la moitié de ce petit monstre. Je me remets debout  et d’un élan j’agrippe une branche de pin qui me tend la main. Je le remercie en passant. Curieux, je stoppe et jette un coup d’œil rapide sur mes arrières ce qui m’encourage à aller de l’avant tout en me disant :

 

-Avec ce que je vois présentement; j’imagine qu’en haut ça doit être fabuleux.

 

Encore un pas, encore un arbre pour m’aider et j’arrive à ma halte mais je vois qu’à quelques pas il y a un petit rassemblement d’arbres invitants et je poursuis. Je fais halte et cette fois je reste debout pour ne pas briser le rythme. Je respire régulièrement en profondeur et reprends ma route. Je  grimpe allégrement et fébrilement je sens la victoire du sommet. Le vent souffle doucement  et le soleil printanier caresse la peau.

 

Je me sens maintenant plein d’énergie et de forces. J’aperçois le sommet  à ma portée .Encore quelques centaines de mètres et j’y serai. Je prends mon courage à deux mains et les jambes à mon cou et grimpe dans un effort ultime pour arriver tout en haut de la montagne. Sur la crête, au beau milieu du sommet sept cèdres trônent en cercle. À l’intérieur de cercle, par terre, des branches de ces arbres installées comme un paillasse invite au repos .Je m’y glisse et  savoure mon instant de gloriole :

 

-Je l’ai fait je suis en haut.

 

Occupé à reprendre mon souffle je jette un œil sur le paysage. Mes yeux écarquillés n’en reviennent simplement pas. Je vois au loin à plusieurs kilomètres. Le ciel bleu aidant  je peux distinguer les lacs et les montagnes à l’horizon. Calmé et un peu reposé  je me remets sur mes jambes et admire ce spectacle divin. Une sensation de bien-être m’envahit. Je me demande pourquoi j’étais si attiré par ce sommet et quelle idée, folie, m’a fait entreprendre ce périple. On a toujours nos réponses. Je regarde au-delà des cèdres et y voit comme une entrée secrète qui donne sur l’autre flanc de la montagne, je m’avance et constate que ce côté  du mont est beaucoup plus abrupte ; je ne m’y risquerais pas .Je lève les yeux et mon regard se pose sur une des plus belles scènes que  je vois. Tout  en bas  un lac avec des iles éparpillées à sa surface  glisse vers le néant .Une pensée me submerge :

 

-S’il y a des gens qui se croient plus fort que Dieu, on va leur demander de créer  un paysage semblable.

 

Et je ris de bon cœur. Je n’en finis pas de reluquer tous les détails de ce tableau champêtre. J’aperçois des maisons d’été, isolées les unes des autres, sur les berges de ce lac d’un bleu profond. La montagne n’est peut-être pas haute mais je me sens comme sur le toit du monde. Je reviens vers les cèdres qui offrent un abri temporaire et sécuritaire. Respirant profondément je laisse s’installer au plus profond de moi cette quiétude apaisante .Le vent amène à mon sens olfactif l’odeur des branches de cèdres. Le silence, ponctué de petites bourrasques d’air, flotte vers l’infini. Je reste coït en contemplation.

Les ailes de la brise  s’approchent et viennent me souffler à l’oreille mes péripéties. Je n’y porte guère attention. Elles me disent que je vais rencontrer beaucoup de personnes dans un avenir prochain. Un détail vient  se fondre à mon œil et c’est la route serpentée  qui   conduit chez moi .Elle est  entrecoupée de pins et de sapins .Je ne vois  pas ma maison mais peut la deviner.

Tout en étant absorbé par mes effluves  un faucon pèlerin vient se poser sur  la tête d’un pin, sait-il que je suis là ? Avec sa vue perçante je n’en ai pas de doute .Quel magnifique oiseau. Je suis dans son domaine et je ne veux pas l’incommoder.

 

Je l’observe du coin du regard tout comme lui le fait. Nous restons sur nos positions et attendons la réaction de un et l’autre. Il lance un cri perçant  avertissant de sa présence .Je me terre pour ne pas l’importuner et lui laisser la place. D’un coup d’aile il s’élance vers le bas de la montagne probablement qu’il a flairé une proie. Son vol en cercle fait de lui  un virtuose et maitre des vents. Ses ailes toutes déployées le conduisent vers un point bien précis du sol. Je le perds de vue un instant. Je me lève  et essaie de voir l’endroit de son atterrissage. Incapable de distinguer sa position je commence à calculer ma descente. Je suis  prudent  car l’endroit est escarpé. Je ne m’en rendais pas compte tout en montant. Je fixe mes haltes de ma montée et me dirige  vers  la dernière. Avant de partir j’admire une dernière fois le paysage et retourne voir le lac de l’autre côté me promettant d’aller le voir par la route. Je quitte mes cèdres avec regrets  et amorce ma descente .Je suis arrêté par le retour du faucon qui tient dans ses serres un petit mulot; son repas :

 

-Bon appétit monsieur le faucon !

 

Il me salue d’un cri de victoire et de seigneur de l’endroit. Graduellement je descends la montagne d’un pas sûr et léger. Je jette un regard furtif au faucon, m’assurant qu’il reste à bonne distance. Je parviens assez rapidement à ma deuxième halte.
Je me retourne et aperçois le sommet qui s’éloigne de plus en plus .Arrivé au pied de la montagne je ressens de l’amertume et me promets, qu’un jour, j’y retournerai. Mais ce jour n’est jamais arrivé.

Et, lorsque je repasse sur la route, en voyant ma montagne au loin je distingue clairement les cèdres je repense à ces moments inoubliables. Je revois le faucon de temps en temps, lors de mes marches, venir tournoyer au dessus des pylônes.


Dans les mois qui ont suivi je suis devenu éducateur pour des adolescents en centre d’accueil.

 

Pierre D.

Les Ailes du Temps

Laval, 1 novembre 2010

 

 

 

 

 



03/12/2010
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